El Niño, La Niña : Ces phénomènes et leurs conséquences en Guyane
28/06/2023
Après plus de 2 ans de pluviométrie exceptionnelle (liée à un long épisode La Niña), tout le monde a pu constater une nette amélioration des conditions météorologiques depuis le mois de mars. Il pleut nettement moins et on profite régulièrement de belles journées ensoleillées. Ce changement de temps s'explique (en grande partie) par la mise en place du phénomène El Niño. Retrouvez dans cet article quelques explications sur ce phénomène, les sécheresses remarquables associées aux épisodes El Niño forts du passé et des précisions sur les enjeux liés aux saisons sèches.
Qu'est ce que l'ENSO ?
L'ENSO (pour El Niño Southern Oscillation) est un phénomène couplé océan/atmosphère, composé de deux phases opposées : El Niño et la Niña, ainsi que d'une phase neutre. "El Niño et La Niña sont les composantes océaniques du phénomène, alors que l’Oscillation australe est la composante atmosphérique" (Organisation Météorologique Mondiale, 2014).
L’Oscillation australe (fluctuations de la pression atmosphérique) correspond au mouvement oscillatoire de masses d’air entre l'est et l'ouest du bassin Pacifique.
Le phénomène ENSO prend place sur l'Océan Pacifique, plus vaste océan de la Terre (plus d'un tiers de la surface totale des océans) : Son influence sur l'atmosphère se manifeste donc à l'échelle de la planète, notamment sur les régions équatoriales. L'ENSO affecte les températures de l'océan, le régime des vents et les précipitations.
En Guyane, la pluviométrie est fortement liée aux différentes phases de l'ENSO :
Phase neutre de l'ENSO :
Lorsque des conditions neutres de ce phénomène sont observées, il n'y a pas d'anomalie de température significative sur le Pacifique est. La circulation de Walker, qui organise les ascendances et subsidences de grande échelle le long de l'équateur, induit des ascendances de grande échelle à nos longitudes.
Phase El Niño (ENSO+), baisse de la pluviométrie :
Une phase El Niño, comme celle initiée depuis juin dernier, est caractérisée par une anomalie chaude de températures de surface de la mer (SST / Sea Surface Temperature) sur l'est du Pacifique équatorial. Une fois bien en place, cette anomalie va perturber la circulation générale atmosphérique, notamment en décalant les cellules de Walker (voir le schéma ci-dessous). Notre région se retrouve ainsi sous une zone de subsidences de grande échelle. Ces subsidences vont assécher la masse d'air au dessus de nos têtes, le temps est donc plus sec que la normale. Ces événements peuvent apparaître tous les 2 à 7 ans et durent en général de 6 à 18 mois.
Ascendances | Courants verticaux se déplaçant du bas vers le haut. Elles apportent l'humidité des basses couches vers de plus hautes altitudes et favorisent la création de nuages (convection). Ainsi, elles sont le plus souvent associées aux précipitations. |
Subsidences | Phénomènes opposés aux ascendances, le courant se déplace vers le sol. Celles-ci assèchent la masse d'air et sont souvent associées à l'absence de nuages convectif (cumulonimbus) et donc de pluie. |
Phase La Niña (ENSO-), hausse de la pluviométrie :
Pendant un épisode La Niña, c'est l'inverse : Une anomalie froide de SST est présente sur le Pacifique, impliquant un renforcement des ascendances au niveau de l'Amérique du Sud équatoriale. Ainsi, ces dernières instabilisent la masse d'air, apportant plus de précipitations que la normale sur nos régions. Un long épisode La Niña entre juillet 2020 et janvier 2023 a été relevé, provoquant de nombreux records de pluies en Guyane ces deux dernières années.
Pour plus d'informations, vous pouvez visiter ce lien du site de Météo-France :
https://meteofrance.gf/fr/actualites/linfluence-du-cycle-el-nino/la-nina-sur-le-climat-guyanais
Et pour en savoir plus sur des concepts de météorologie générale ou des termes scientifiques, n'hésitez pas à jeter un oeil sur ce portail :
http://education.meteofrance.fr/dossiers-thematiques
Influence de l'ENSO en Guyane
Cette frise illustre parfaitement les conséquences des deux phases opposées ENSO+ (El Niño) et ENSO- (La Niña) sur la pluviométrie en Guyane :
La courbe grise représente les anomalies de SST sur le Pacifique équatorial. Pour des valeurs supérieures à 0 (du jaune vers le rouge), l'océan Pacifique est plus chaud que la normale et inversement pour des valeurs négatives (du bleu ciel au bleu foncé).
Lorsque l'anomalie est comprise entre -0.5°C et +0.5°C, les SST s'écartent trop faiblement des valeurs normales et cela n'impacte pas ou peu la circulation atmosphérique, on parle de conditions neutres de l'ENSO.
Au delà de +0.5°C d'écart, on passe en conditions El Niño. L'intensité du phénomène El Niño augmente (faible, modéré, fort...) à mesure que l'anomalie de SST se renforce. Même chose pour La Niña qui se manifeste pour des écarts à la normale inférieurs à -0.5°C.
Les barres vertes affichant des valeurs supérieures à 0 correspondent à une pluviométrie (en mm) excédentaire, et lorsque les valeurs sont négatives il s'agit d'un déficit pluvieux.
- Lorsque la courbe grise est dans le bleu, nous sommes en présence d'une anomalie froide de température de surface de la mer sur le Pacifique (= Episode la Niña). On peut voir que ceci est en général associé à une anomalie positive (pluviométrie supérieure à la normale) de précipitations (barres vertes). L'exemple de l'épisode 2020-2022 sur la droite est très parlant.
- Si cette courbe est dans l'orange/rouge, El Niño est en place sur le Pacifique et les anomalies de précipitations sont négatives : Il a moins plu que la normale. Les épisodes de 2002 et 2015 en sont de bons exemples.
On constate que :
Lors d'un épisode LA NINA, la Guyane connait généralement une pluviométrie EXCEDENTAIRE
Lors d'un épisode El NINO, la pluviométrie est généralement DEFICITAIRE.
Toutefois les phénomènes El Nino et La Nina ne sont pas les seuls facteurs qui déterminent les régimes climatiques à l'échelle régionale et mondiale. De plus, l'intensité d'un épisode ENSO et l'ampleur de ses incidences ne sont pas nécessairement corrélés :
Exemple en Guyane avec le Niño de 2018/2019 qualifié de faible mais présentant un déficit en pluies supérieurs à d'autres épisodes Niño forts voire très forts. Il en va de même pour la précédente Niña de 2020 à 2023 qui a provoqué de nombreux records bien qu'elle aussi qualifiée, via l'indice utilisé dans la frise ci-dessus, de modérée (en comparant avec la Niña forte de 2007 par exemple).
De fortes sécheresses en Guyane lors des El Niño de 1997/1998 et 2015/2016
Les épisodes de Niño en 1997/1998 et 2015/2016 ont particulièrement marqué les esprits de part les fortes sécheresses à ces périodes.
A Kourou, il n'a pas plu du 24 août au 26 octobre 1997, soit 63 jours sans précipitations. Pour la station de Matoury ce sont 5,5mm qui ont été relevés de début septembre à la troisième semaine d'octobre 1997 (7 semaines), pour comparaison, la normale est d'environ 55mm par mois à cette période.
En 2015, toujours à Kourou, il n'est tombé que 9mm de précipitations entre le 25 août et le 8 novembre, soit 9mm en 75 jours. En 2016 cette fois, ce sont 47 jours sans précipitations qu'a connu la ville de Cayenne entre septembre et novembre. A Kourou, 7mm tombés entre le 16/09 et le 30/11, en 76 jours !
La saison sèche 2015 reste caractérisée par un grand nombre de feux de savanes et de broussaille avec près de 785 hectares partis en fumée, mais c'est en 2016 qu'un nombre records de feux a été comptabilisé : presque 2250 hectares soit trois fois plus que l'année précédente.
Feux de savanes en 2015 (crédit photo Guyane la 1ère)
Enjeux liés à une saison sèche sévère
La pluviométrie exceptionnelle de 2021 et 2022 a posé de gros soucis dans le domaine de l'exploitation forestière, du défrichement agricole et du BTP avec beaucoup de retards et donc une forte attente pour un temps plus sec. En effet, une saison sèche longue et marquée facilite la récupération des grumes de bois en forêt, les travaux de défrichement agricole et le respect du calendrier pour les chantiers dans un territoire en pleine construction.
Si la fin des fortes pluies liées à la Niña ces deux dernières années était attendue, rappelons tout de même les enjeux liés à une saison sèche sévère :
- Les risques de feux de végétation sont accrus, et Météo-France diffuse deux fois par jour, de septembre à novembre, des bulletins de risque de feux de végétation à destination de la préfecture. Pendant la saison sèche, cette dernière coordonne les moyens de lutte avec les mairies et les sapeurs pompiers. Comme évoqué plus haut, en 2016, lors d'une forte sécheresse, ce sont 1049 feux de végétation qui ont été relevés, couvrant près de 2250 hectares (environ la surface de la ville de Cayenne) contre 270 hectares brulés en 2021 (Niña) lors de 162 incendies.
Feu de végétation à Mana (crédit photo Guyane la 1ère)
- Plus grand risque d'étiage des fleuves de Guyane avec possibilité de remontée du biseau salin au delà des points de captage d'eau douce. En effet, les captages d’eau douce pour les populations du proche littoral se font dans les parties des fleuves soumises à la marée. Quand il y a conjonction entre une importante marée basse et un faible niveau du fleuve, l’eau de mer remonte plus loin en amont du fleuve, le taux de salinité de l’eau au point de captage peut devenir trop important et il faudra alors cesser de pomper l’eau ce qui implique un risque de coupure d’eau.
- Mais il apparaît surtout le problème d'approvisionnement des communes isolées des fleuves (Camopi, et les communes du Maroni) qui devient difficile avec des délais d'acheminement importants (fret alimentaire, eau potable, carburant pour les centrales électriques). Rappelons que les communes dont nous parlons ici ne peuvent être rejointes que par voie fluviale (pas de route pour s'y rendre) et dépendent donc entièrement du transport en pirogue.
La pirogue est le principal moyen de transport de marchandises pour la plupart des communes du fleuve Maroni
Le risque d'étiage est prévu et analysé deux fois par semaine par la Cellule de Veille Hydrologique (CVH) de Guyane lors d'une période théorique définie chaque année entre septembre et décembre, celle-ci est ensuite ajustée par la CVH en fonction de la climatologie de la région. Cette analyse se base sur les prévisions et les produits développés par la division Etudes, Climat, Maitrise de la Production Finalisée (ECMPF - Direction Antilles-Guyane de Météo-France).
Prévision pour les mois à venir
Le phénomène El Niño en cours devrait se renforcer au cours des mois qui arrivent selon les dernières prévisions de Météo-France. Ainsi, au cours du prochain trimestre, la pluviométrie s'annonce globalement déficitaire et les températures supérieures aux normales en Guyane.
Notre dernier bulletin de prévisions saisonnières pour le trimestre Août-Septembre-Octobre 2023 est en ligne :
https://meteofrance.gf/fr/climat/previsions-saisonnieres-daout-octobre-2023