L'influence du cycle El Niño/La Niña sur le climat Guyanais
26/10/2021
Le climat guyanais est principalement caractérisé par une pluviométrie abondante, cette pluviométrie présente beaucoup de variabilité annuelle. Ces importantes variations s'expliquent en grande partie part par le Cycle ENSO (El Niño southern Oscillation), alternant des épisodes El Niño, des phases neutres et des épisodes La Niña.
Cet article apporte quelques explications sur le cycle ENSO. Ce phénomène complexe qui se produit dans le pacifique équatorial a des conséquences sur le climat mondial et notamment le climat guyanais. Les caprices de la météorologie observés en Guyane depuis le début 2020 s'expliquent pour une bonne part par la succession d'un épisode El Niño et d'une phase La Niña, mais on verra aussi dans cet article qu'un phénomène océanique de moindre ampleur mais nettement plus proche influe lui aussi sur les écarts à la normale de la pluviométrie en Guyane : les anomalies positives de températures de l'eau de surface de l'océan dans le bassin atlantique équatorial.
Explications sur le cycle ENSO (El Niño southern Oscillation)
Extrait d'un article sur El Niño et la Niña du site meteofrance.com :
https://meteofrance.com/comprendre-climat/monde/el-nino-et-la-nina
Article rédigé par François Poulain
El Niño et La Niña : des phénomènes océaniques à grande échelle
Sécheresse en Amérique centrale ou en Afrique australe, précipitations intenses sur les côtes du Pérou et de l'Équateur, température moyenne anormalement élevée à l'échelle du globe… Le phénomène El Niño, qui affecte le climat mondial dans son ensemble, impacte notamment l'activité cyclonique à l'échelle planétaire : certaines zones océaniques enregistrent une activité plus faible que la normale alors que d'autres, comme le bassin Pacifique, connaissent des cyclones particulièrement dévastateurs.
Un impact planétaire
El Niño et son pendant La Niña sont des phénomènes océaniques à grande échelle du Pacifique équatorial, affectant le régime des vents, la température de la mer et les précipitations. El Niño et La Niña correspondent aux deux phases opposées du phénomène couplé océan/atmosphère appelé ENSO (El Niño Southern Oscillation).
À l'origine, l'appellation El Niño a été attribuée par les pêcheurs péruviens à la petite invasion d'eau chaude qui se produit chaque année le long des côtes du Pérou et de l'Équateur aux environs de Noël - d'où son nom : en espagnol, El Niño désignant l'enfant Jésus. Par extension, le phénomène climatique correspondant au réchauffement accentué des eaux de surface près des côtes de l'Amérique du Sud porte aujourd'hui le nom d'El Niño. Nous savons qu'il est lié à un cycle de variations de la pression atmosphérique entre l'est et l'ouest du Pacifique, couplé à un cycle du courant océanique le long de l'équateur.
Seul l'ENSO a un impact planétaire aussi marqué. Les deux autres bassins océaniques, Indien et Atlantique, sont trop peu étendus pour permettre un phénomène de couplage aussi important entre circulations atmosphérique et océanique, même s'ils subissent aussi des remontées d'eaux profondes et des régimes d'alizés.
Situation météorologique normale dans le Pacifique sud
Hors événement El Niño, les alizés de sud-est sont bien établis sur la face nord de l'anticyclone de l'île de Pâques (l'équivalent de l'anticyclone des Açores dans l'Atlantique nord). Ces vents réguliers, qui soufflent d'est en ouest, entraînent les eaux chaudes de surface vers l'ouest. Le déplacement des eaux chaudes provoque une remontée des eaux profondes, froides, à l'est du Pacifique, le long des côtes du Pérou. Sur la carte des températures de la mer apparaît, le long de l'équateur, une langue froide caractéristique.
Situation normale. © Météo-France, François Poulain.
Aux eaux chaudes est liée une ascendance de l'air entraînant la formation de nuages et de précipitations ; aux eaux froides, une descendance de l'air entraînant son assèchement. Les précipitations sont donc cantonnées à l'ouest du Pacifique équatorial tropical. Il en est de même des tempêtes tropicales et des ouragans qui épargnent alors la Polynésie française.
Situation La Niña
Certaines années, ces caractéristiques sont particulièrement marquées. On parle d'un événement La Niña.
Situation El Niño
Lors d'un épisode El Niño, les hautes pressions du Pacifique sud diminuent. Les alizés faiblissent, voire se renversent. Les eaux chaudes de surface, accompagnées de nuages et de précipitations, refluent de l'ouest vers l'est. Ainsi, lors des situations El Niño, des conditions sèches se développent sur l'Indonésie et sur l'Australie, les tempêtes tropicales et les ouragans apparaissent beaucoup plus à l'est qu'à l'habitude et viennent affecter la Polynésie française, tandis que les côtes du Pérou connaissent d'inhabituelles précipitations provoquant inondations et glissements de terrain. De plus, le poisson déserte les eaux côtières d'Amérique du Sud, les eaux chaudes étant beaucoup plus pauvres en nutriments que les remontées d'eaux froides habituelles.
Situation avec El Niño. © Météo-France, François Poulain.
Des épisodes irréguliers
Les événements El Niño apparaissent d'une manière irrégulière, tous les 2 à 7 ans. Ces épisodes débutent en général en milieu d'année et durent de 6 à 18 mois. Ils atteignent leur intensité maximale vers Noël.
En 1997, un épisode El Niño très intense avait été observé, avec à la clef des impacts climatiques et sociétaux importants. Depuis, d'autres épisodes, d'importance moindre, se sont produits en 2002-2003, 2004-2005, 2006-2007 et 2009-2010. Un épisode El Niño sévère a été observé en 2015. Un autre moins important en 2019-2020.
El Niño et le climat mondial
De par son ampleur (augmentation de température de l'ordre de 1 °C ou plus des couches océaniques superficielles dans le rail équatorial pendant plusieurs mois) et l'étendue de la zone concernée (au niveau de l'équateur, le bassin pacifique tropical s'étend sur une zone large de plus de 10 000 km), El Niño affecte le climat mondial dans son ensemble. Lors des épisodes précédents, différents types de phénomènes ont été observés :
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déficit pluviométrique en Australie orientale, Indonésie, Inde, Afrique australe, Caraïbes, nord-est du Brésil ;
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tempêtes tropicales plus à l'est qu'à l'habitude et venant affecter la Polynésie française ;
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excédent pluviométrique sur la côte ouest de l'Amérique du Sud, dans le nord de l'Argentine et en Uruguay, en Afrique de l'Est équatoriale, dans les îles du centre du Pacifique tropical et dans le sud des États-Unis pouvant entraîner inondations et glissement de terrain.
Par ailleurs, à l'échelle du globe, la température moyenne a tendance à être anormalement élevée pendant les années concernées par ces épisodes Ce fut le cas en 1998, année qui a suivi un fort épisode El Niño.
Prévoir les épisodes El Niño
À l'échelle de la saison, l'évolution de l'atmosphère est fortement influencée par les variations des océans. En associant des modèles de prévision météorologique à des modèles de prévision océanique, il est possible de réaliser des prévisions sur le climat des six mois à venir. C'est ce que l'on appelle des prévisions saisonnières. Il ne s'agit pas de prévisions classiques décrivant dans le détail des situations météorologiques, mais d'indications sur les évolutions possibles à très grande échelle, notamment en matière de température et de précipitations.
Pour réaliser ces prévisions, nous comparons les sorties de plusieurs modèles. La synthèse établie à partir de ces différentes simulations numériques nous permet de prévoir l'évolution des paramètres climatiques et de dire si, pour une région donnée, le climat a des " chances " de s'écarter du climat standard.
La prévision des épisodes El Niño relève de la prévision saisonnière. L'évolution de la température de surface de la mer, et en particulier celle de l'océan Pacifique équatorial, peut être prévue à ces échéances avec une précision bonne, voire élevée pour les prévisions concernant l'automne et l'hiver boréal. Les variations de cette température constituent un bon indicateur de la survenue éventuelle d'un phénomène El Niño ou La Niña. Lorsque les prévisions s'accordent sur une augmentation de la température des eaux de surface du Pacifique équatorial, un scénario de type El Niño est probable. Les épisodes El Niño/La Niña sont les phénomènes ayant la meilleure prévisibilité à cette échelle de temps.
L'influence d'El Niño/La Niña sur le climat guyanais
Il y a une forte corrélation entre le régime des précipitations en Guyane et les épisodes El Niño et La Niña.Les épisodes El Niño sont généralement associés à un déficit pluviométrique et à des températures plus importantes que la normale. A l’inverse, les épisodes La Niña correspondent souvent à une pluviométrie excédentaire sur la Guyane. |
Les épisodes El Niño correspondent donc généralement à une pluviométrie déficitaire et à l'inverse les épisodes La Niña sont généralement associés à des périodes plus pluvieuses que la normale.
A cet égard, les 2 derniers épisode d'El Niño sévères relevés en 1997 et 2015 ont provoqués des saison sèches exceptionnelles sur la Guyane.
En 1997, il n'a pas plu à Kourou pendant plus de 60 jours consécutifs lors de la saison sèche. En 2015, toujours à Kourou, il n'est tombé que 9mm de précipitations entre le 25 août et le 8 novembre. La saison sèche 2015 reste caractérisée par un nombre records de feux de savanes et de broussaille avec près de 785 hectares partis en fumée.
Feux de savane en 2015 (crédit photographique Guyane la 1ère) |
A propos des épisodes la Niña, le dernier en date s'est étiré d'août 2020 à avril 2021. Cette période de 9 mois correspond à un excédent pluviométrique important avec pour de nombreux postes climatologiques un excédent de précipitations de près d'1m sur cette période. En 2020, sous l'influence de la Niña, la saison des pluies a commencé très tôt avec dès le premier novembre un épisode de vigilance fortes pluies et orages. En 2021, toujours sous l'influence de l'épisode La Niña 2020/2021, on n'a pas observé de petit été de mars. Des épisodes pluvieux parfois intenses se sont succédés entre novembre 2020 et mai 2021.
Toutefois, les épisodes El Niño ou La Niña ne sont pas les seuls phénomènes de grande ampleur pouvant amener la pluviométrie en Guyane à s'écarter des normales climatologiques sur des périodes de quelques mois. Un autre phénomène de moindre ampleur mais nettement plus proche puisque se produisant sur le bassin atlantique équatorial a lui aussi de l'importance : les anomalies de températures de surface de l'océan atlantique dans sa partie équatoriale.
Les anomalies de températures de surface de l'océan dans le bassin atlantique équatorial influent sur la pluviométrie en Guyane
Cette carte montre les anomalies de Températures de Surface de l'Océan (Sea Surface Temperature ou SST) par rapport à la normale en septembre 2021 avec en dégradé du jaune au rouge les anomalies positives (SST plus chaudes que la normale) et dans les tons de bleus les anomalies négatives (SST plus froides que la normale).
On peut constater qu'en septembre 2021 une vaste poche d'eaux plus chaudes que la normale s'est formée sur le bassin atlantique équatorial.
Ces eaux plus chaudes que la normale favorisent les développements nuageux et donc les pluies dans cette zone. Ces développements nuageux renforcent la convergence des vents et retiennent à proximité de cette zone l'Equateur Météorologique d'Alizés (EMA, nouvelle appellation de la ZCIT). En effet pendant la saison sèche 2021, l'équateur météorologique d'alizés est souvent resté à des latitudes très proches de la Guyane, ce qui nous a valu une saison sèche en demi teinte avec une pluviométrie souvent excessive. C'est en septembre 2021 que l'anomalie de températures de surface de l'océan était la plus importante sur le bassin atlantique équatorial et c'est aussi en septembre 2021 que la pluviométrie en Guyane s'est écartée le plus fortement de la normale. En effet, on n'avait jamais depuis le début des mesures météorologiques en Guyane observé un mois de septembre aussi pluvieux avec un excédent moyen de pluie de +148%.
A la pluviométrie exceptionnelle de septembre 2021 correspond le maximum de l'anomalie positive de température de surface de la mer dans le bassin atlantique équatorial.
Ce tableau chronologique reprend la pluviométrie mensuelle moyenne en Guyane (moyenne des 13 postes climatologiques principaux) depuis 2020 comparée aux valeurs mensuelles normales. On peut remarquer que le fort déficit pluviométrique constaté début 2020 s'explique par la conjonction de l'influence résiduelle d'El Niño 2019 et d'une anomalie froide de température de surface de l'océan dans l'atlantique équatorial. La longue période de pluviométrie excédentaire que l'on connait actuellement s'explique quant à elle par des périodes d'anomalies positives des températures de surface sur le bassin atlantique équatorial entrecoupées d'un épisode La Niña de près de 9 mois. En perspective plus lointaine, les modèles de prévisions saisonnières semblent s'accorder sur la mise en place d'un nouvel épisode La Niña pour la fin d'année 2021. On pourrait donc garder une pluviométrie excédentaire en Guyane jusqu'en début 2022 au moins. Les prochains bulletins de prévision saisonnières pour la Guyane apporteront la réponse.