Déficit pluviométrique aggravé et niveau d'étiage alarmant sur le fleuve Maroni
12/09/2024Depuis le mois de mai 2023, un déficit pluviométrique global s’est installé sur le bassin du Maroni. Les prévisions saisonnières nous alarment sur une saison sèche 2024 encore déficitaire en pluie. Cet article vous propose le regard croisé et complémentaire de Météo-France (climatologie passée et prévisions pour la saison sèche 2024) et de la Cellule de Veille Hydrologique (situation hydrologique et enjeux autour de l’étiage sur le Maroni).
Plus de 16 mois de pluviométrie déficitaire sur le Maroni
Le bassin du Maroni, plus grand fleuve de Guyane, a une superficie de 66 814 km² avec une bonne moitié du bassin qui se situe au Suriname. Les stations météorologiques du réseau de Météo-France s'étendent sur le Maroni de Saint-Laurent à Maripasoula et nous donnent déjà une bonne approximation des variations de pluviométrie par leur répartition géographique tout au long du fleuve. Saül est en limite extérieure du bassin du Maroni mais la source de l’Inini qui rejoint le Maroni à Maripasoula se situe sur la commune.
La carte ci-dessus montre l'étendue du bassin du Maroni (en vert) avec tous ses affluents côté Suriname et Guyane. On remarque l'importante contribution des rivières coté Suriname notamment avec l'apport du Tapanahony, qui rejoint le Maroni juste après Grand-Santi.
A l’image des postes climatologiques représentatifs du secteur, le bassin du Maroni souffre d’un déficit pluviométrique global depuis plus d’un an, plus précisément depuis le mois de mai 2023. Le tableau ci-dessous nous donne un peu plus de détails sur cette situation.
Les mois de janvier et février 2023 sous l’influence de la fin de la longue phase la Niña (2020/2023) présentent encore une pluviométrie nettement excédentaire. Ensuite la situation devient plus contrastée avec la transition qui s’amorce vers un épisode El Niño entre mars et avril.
A partir de mai 2023, en revanche le déficit s’installe et s’accentue durant la saison sèche entre juillet et la mi-novembre. La saison sèche 2023 restera dans les mémoires sur le fleuve Maroni. Les pluies de fin novembre et de décembre 2023 ont mis un terme à la saison sèche mais globalement la pluviométrie reste plus faible que la normale avec même un déficit sévère en février et mars 2024.
Le petit été de mars 2024 aura été long et a particulièrement marqué cette année. Ensuite, retour temporaire à une pluviométrie normale voire excédentaire en mai 2024 mais depuis le mois de juin, toute la partie du bassin en amont d’Apatou est de nouveau nettement moins arrosée que la normale et cette situation persiste en juillet puis en août.
Le mois de septembre n'est pas encore terminé mais il s'annonce lui aussi largement déficitaire.
Le déficit pluviométrique est marqué entre Grand-Santi et Saint-Laurent. Maripasoula et Saül présentent un faible excédent qui s'explique par des averses observées le 13 septembre dans ce secteur. Ces averses localisées sur une faible partie du bassin n'ont toutefois pas eu d'impact sur le débit du fleuve.
Le 13 septembre est la seule journée ou des pluies significatives on arrosé le bassin du Maroni, mais cela n'a pas suffi à initier une remontée du débit.
Des prévisions saisonnières pessimistes
Les modèles des grands centres mondiaux de prévisions s’accordent pour la mise en place progressive d’une phase la Niña en fin d’année avec des différences de chronologie et d’intensité. Cela devrait se traduire par un retour progressif à une pluviométrie normale ou supérieure à la normale mais avec une certaine inertie. Par ailleurs on assiste à un refroidissement en cours du bassin atlantique équatorial (favorable à une pluviométrie déficitaire).
Ces 2 tendances un peu contradictoires et les divergences de scénarios entre les modèles augmentent le niveau d’incertitudes. La plupart des modèles s’accordent cependant sur une pluviométrie déficitaire sur le trimestre septembre-octobre-novembre ensuite certains prévoient une poursuite du déficit jusqu’en décembre, d’autres le passage à une pluviométrie supérieure à la normale dès décembre.
Ces prévisions d’écart à la normale sont à comparer aux normales climatiques basées sur les moyennes décadaires (par pas de 10 jours) des 30 dernières années qui montrent une hausse progressive de la pluviométrie en novembre avec pour la plupart des postes climatologiques de Guyane le seuil des 50 mm en 10 jours franchi lors de la dernière décade de novembre, marquant ainsi la fin de la saison sèche.
Pour conclure : la saison sèche 2024 en Guyane s’annonce plus sèche que la normale avec un signal moins marqué et plus d’incertitudes cependant que l’année dernière.
Apport des prévisions mensuelles
La carte ci-dessous montre les prévisions d'écart à la normale des précipitations pour cette semaine. Ces prévisions sont faites par le Centre Européen de Prévisions à moyenne échéance (ECMWF). Les couleurs orangées sur la Guyane sont associées à une pluviométrie prévue plus faible que la normale. Ce signal déficitaire se prolonge avec plus ou moins d'intensité pour les semaines suivantes jusqu'à la fin octobre.
Tous les bassins versants du Maroni attendent entre 15 et 100mm entre le 23/09 et le 20/10, cela correspond à des pluies prévues pouvant être proches de la normales et jusqu'à 85% déficitaires en fonction des bassins.
L'expertise de la Cellule de Veille Hydrologique de Guyane
Pour répondre aux enjeux liés à l'hydrologie (crues et étiage), Météo-France et la Cellule de veille Hydrologique (CVH) de Guyane travaillent en complémentarité. Dans ce partenariat autour de l’eau entre Météo-France et la CVH, Météo-France apporte son expertise sur les précipitations. La Cellule de Veille Hydrologique s’appuie sur l'expertise de Météo-France pour étudier le comportement du réseau hydrographique de Guyane.
Ainsi, Météo-France fournit les observations météorologiques, les analyses climatologiques et les prévisions qui permettent à la Cellule de Veille Hydrologique de Guyane de réaliser à son tour les prévisions de débit pour les fleuves dont elle a la surveillance. Nous vous proposons donc l'analyse de Pascal Marras, responsable de la Cellule de Veille Hydrologique de Guyane sur cette situation d'étiage à la mi-septembre 2024.
Comparatif de débit à Langa Tabiki sur le Maroni
Langa Tabiki se situe à une vingtaine de km en amont d'Apatou, cette station hydrologique est donc représentative de l'ensemble du bassin du Maroni en amont d'Apatou.
Ce premier graphique permet de comparer les écoulements journaliers sur le fleuve Maroni au niveau de la station hydrométrique de Langa Tabiki pour les années suivantes :
- 2024 est représentée par un trait bleu,
- 2023 est en pointillé vert,
- 2012 est en pointillé orange,
- 2009 est en pointillé bleu.
Pour mieux situer l’évolution des écoulements au fil du temps, sont ajoutés sur ce graphique les débits mensuels inter-annuels, ce sont les moyennes de tous les débits mensuels sur les 70 dernières années (représentés en pointillés gris).
Avant de connaître la situation critique de l’an dernier (octobre et novembre), les années 2009 et 2012 faisaient référence pour qualifier les étiages sévères observés après 2000. L’année 2023 s'impose dorénavant pour rendre compte de la situation en basses eaux.
Au regard de ce graphique, on peut observer que :
- En 2023, les écoulements de début d’année étaient largement excédentaires. De janvier à juin les débits observés dépassent globalement les normales mensuelles, alors qu’à partir de juillet cette tendance s’est inversée pour aboutir vers un étiage relativement sévère. Le débit mensuel de novembre s’observe statistiquement entre une année sur cinq et une année sur dix.
- Depuis le début de cette année 2024, les écoulements sur ce fleuve Maroni sont très déficitaires. Les débits observés en 2024 sont largement sous les moyennes saisonnières alors que cette situation n’était pas observable pour les précédents étiages marquants.
Bilan 2023/2024 : En 2024, le débit du fleuve Maroni est presque tout le temps resté sous les moyennes saisonnières tandis qu'en 2023 la situation n'a commencé à se dégrader qu'en juillet.
Ce second graphique présente un zoom sur la période de basses eaux du 1er septembre à la fin de l’année.
Sont ajoutées sur ce graphique les valeurs caractéristiques des étiages. En trait orange et rouge sont représentées respectivement les valeurs quinquennales et décennales sèches des débits mensuels minimums.
Quelles perspectives?
Au regard des écoulements actuels, les débits en transit sont inférieurs à ceux de l’année dernière à la même période, et des prévisions pessimistes sur les précipitations prévues dans les quatre semaines, la situation risque de davantage se tendre. Ainsi, elle peut devenir encore plus critique que celle rencontrée l’an dernier où des conséquences sur l'approvisionnement en eau potable et sur la navigabilité des fleuves se sont vérifiées.