A la une Fin mai 2022, les pirogues accostent directement dans les magasins sur la rive Surinamaise en face de Maripa-Soula

Marine Bresteaux

Encore une période de crues de plus de 3 mois sur le Maroni en 2022

16/06/2022

En 2022, le scénario de 2021 se rejoue sur le fleuve Maroni avec encore une fois une crue de plus de 3 mois , la crue de 2022 se distingue toutefois par sa précocité.
D'une manière globale, le phénomène la Niña en cours, associé à une pluviométrie plus forte que la normale est à l'origine de cette crue . Dans le détail, les 4 pics de crues successifs observés entre début mars et fin mai peuvent s'expliquer par des réactivations ponctuelles de quelques jours de la zone de convergence Intertropicale boostée par des vents dynamiques en altitude favorisant le développements de cellules pluvio-orageuses.

Un premier semestre 2022 sous l'influence de la Niña.

Depuis décembre  2021, un nouvel épisode la Niña se met en place. En février/mars 2022, le phénomène est  à  son apogée, cela explique bien la pluviométrie exceptionnelle que tous les guyanais ont pu constater au cours des mois de février et mars.Anomalies de températures de surface des océans en  février 2022: le phénomène la Niña est  à  son apogéeLe phénomène la Niña se caractérise par une langue d'eaux froides sur l'océan pacifique au large des côtes du Pérou. En février 2022, on remarque sur l'image ci-dessus que la langue d'eaux froides s'étend très loin vers l'ouest( pacifique central). Ce changement de températures des eaux de surface sur l'océan Pacifique provoque donc un déplacement des zones pluvieuses au niveau de la ceinture équatoriale. Anomalies de précipitations prévues en mars 2022Sur l'image ci-dessus, on remarque au niveau de la ceinture équatoriale, une succession d'anomalies négatives (couleur marron sur la carte associée  à  une pluviométrie déficitaire) et d'anomalies positives( couleur verte sur la carte associée à une pluviométrie excédentaire). En vert foncé sur la carte, il est prévu en Guyane une pluviométrie largement excédentaire pour le mois de mars. Dans la réalité, cela s'est traduit pour de nombreuses communes de Guyane par un mois exceptionnellement pluvieux( le mois de tous les records).https://meteofrance.gf/fr/climat/bulletin-climatique-mensuel-de-guyane-mars-2022

En 2021, la situation était un peu différente avec une crue du plus tardive ,du 10 avril jusqu'à la mi-juillet. En avril,  on observait encore l'influence de la fin d'un épisode la Niña mais l'origine des fortes pluies de mai à juillet s'explique plus par la formation d'un bassin d'eaux plus chaudes que la normale sur l'atlantique équatorial à proximité des côtes de Guyane ( des eaux de surface des océans plus chaudes que la normales favorisent les développements nuageux convectifs).

En 2022, l'épisode la Niña qui pourrait se prolonger jusqu'en juillet mais en perdant de son intensité, est donc bien  globalement  à  l'origine de la crue du Maroni, mais ne suffit pas  à  expliquer dans le détail les différents pics de crues qui se sont succédé.

Des pics de crues associés à de fortes réactivations ponctuelles de la Zone de Convergence Inter Tropicale

Ce Graphique ( CVH Guyane) montre l'évolution entre le  1er mars et le 1 juin 2022 du débit du Maroni sur  3 des stations hydrologiques de la CVH de Guyane : Papaïchton sur le Lawa amont  en rouge, Grand-santi sur le Lawa aval en vert et Apatou en bleu plus en aval. On peut remarquer pour les 3 postes, 4 pics de crues distincts avec de légers décalages temporels. Si on regarde dans détails, ces  4 pics sont associées dans les jours qui les précédent  à  des périodes fortement pluvieuses sur la plupart des bassins  drainés par le fleuve Maroni.

Premier pic de crue du 12 au14 mars 2022

Estimations satellitaires de cumuls de pluies  du 1 au 11 mars

 

La période du 1er au 11 mars a été très pluvieuse sur l'ensemble du bassin du Maroni avec des cumuls estimés entre  250 et 350mm. Pendant cette période, les  4 postes climatologiques principaux du secteur ne connaissent pas de jours sans précipitations, on distingue même une période exceptionnellement plus pluvieuse  du 5 au 10 mars pendant laquelle on relève 255mm à Maripa-Soula.

 

Deuxième pic de crue du 11 avril 2022

Estmations satellitaires de cumuls de pluies pour la période du 1 au 11 avril 2022

Cette deuxième période pluvieuse est associée à un pic de crue moins important avec des cumuls moyens estimés de 170 à 225 mm sur la période du 1 au 11 avril. On note quand même au sein de cette période un cumul de  144mm à Grand-Santi entre le  4 et le 9 avril.

 

Troisième pic de crue du 28 au 29 avril 2022

Estimations satellitaires de cumuls de pluies du 19 au 30 avril 2022Ce troisième pic de crue un peu plus marqué que le deuxième se situe vers le  29 avril. Il correspond à des cumuls estimés de de 90 à 214 mm entre le 19 et le 30 avril. Cette période du 19 au 30 avril n'est pas homogène, elle se partage en 2 petites périodes plus arrosées ( la première du 19 au 21  et la deuxième du 25 au 26). On relève ainsi 105mm à Apatou du du 19 au 21 puis 64mm à Grand-Santi du 25 au 26.

 

Quatrième pic de crue du 25 au 27 mai 2022

Estimations satellitaires de dumuls de pluies du 14 au 25 mai 2022Ce dernier pic de crue est le plus important de l'année, sur cette période, les cumuls moyens estimés sur cette période du 14 au 25 mai 2022 varient de 205 à 264mm. Du 14 au 21 , les forts cumuls de pluies sont réguliers et généralisés, à partir du 22, on observe encore de bons arrosages mais plus localisés. le secteur de Grand-Santi a été particulièrement arrosé pendant cette période avec 230mm mesurés entre  le 14 et le 25 mai 2022. Le pic de crue du 23 au 25 mai  2022 a une durée de retour de 20 ans selon la Cellule de Veille Hydrologique  de Guyane.

Plus d'informations sur le site Vigicrues de la CVH de Guyane

 

Les autres grands fleuves de Guyane, la Mana et l'Oyapock ont eux aussi connu des pics de crues assez importants pendant cette période. La crue exceptionnelle de la Mana pendant la première quinzaine de mars a entrainé la fermeture de la route au niveau du pont de Saut Sabbat du 8 au 21 mars 2022.Le fleuve Mana déborde sur la RN1 juste après le pont de Saut Sabbat en mars 2022

 

Un des nombreux hameaux inondés  à  réptition pendant la longue crue de  2022

Les communes de Maripa-Soula, Papaïchton, Grand-Santi et Apatou  ont souffert de cette crue de grande ampleur ( les hauteurs d'eau de 2021 on par endroits été dépassées). A plusieurs reprises, de nombreux Kampoes( petits hameaux qui jalonnent le Maroni sur les  2 rives du fleuve) ont été inondés, notamment dans le secteur entre Grand-Santi et Apatou. Article de Guyane la 1ère sur les inondations à Grand-Santi

 

 

 

 

 

De fortes réactivations de la ZCIT à l'origine des pics de crues

Pendant la période de mars  à mai 2022, il n'a pas plu tous les jours sur le bassin du Maroni, il y a même eu de petites périodes d'assèchement ou le fleuve est re-rentré dans son lit. Les montées des eaux sont associées à des périodes de quelques jours ou la pluviométrie augmente fortement. Ainsi, pendant cette période de mars  à mai,  des intermèdes  plus pluvieux (jusqu'à 10 à 12 jours) se détachent régulièrement  et sont suivis de pics de crues. Ces périodes correspondent  à des réactivations pendant plusieurs jours consécutifs de la Zone de Convergence Inter Tropicale (ZCIT) au niveau de la Guyane sous formes d'ondulations successives au sein desquelles la convergence est renforcée. En haute altitude des vents dynamiques et divergents vont booster l'activité de la ZCIT.

Au sein de la ZCIT, on retrouve de l'air chaud et humide. Pour former des nuages, cet air chaud a besoin de se soulever, la convergence des vents dans les basses couches de l'atmosphère ( entre le sol et  3000m ) va donc favoriser les développements nuageux. En haute altitude, c'est l'inverse, les vents qui accélèrent et divergent ( partent dans des directions différentes) vont créer un effet d'aspiration et favoriser les développements nuageux jusqu'en haute altitude.

Schémas illustrant le développement de nuages sous l'effet de la convergence des vents en basses couches et de la divergence des vents en haute altitude

La présence simultanée d'une forte convergence des vents dans les basses couches au sein de la ZCIT et d'une forte divergence en haute altitude crée des conditions propices aux développements nuageux de grande échelle associée à de fortes pluies parfois orageuses. On peut faire l'analogie avec un moteur: le carburant est l'air chaud et humide , le moteur est la convergence des vents dans les basses couches de l'atmosphère et le turbo la divergence des vents en haute altitude.

 

 

 

Les périodes pluvieuses observées en mars, avril et mai 2022 présentaient de fortes similitudes du point de vue des situations météorologiques avec à chaque fois la formation d'ondulations marquées au sein de la Zone de Convergence Inter Tropicale (convergence renforcée en basses couches) surmontées en altitude par des vents dynamiques avec une tendance marquée  à la divergence.