Avril à juillet 2021: La grande crue du Maroni en 2021
23/06/2021
Depuis plus de 2 mois, le Maroni est en crue, on a pu observer quelques petites périodes de répit avec un niveau du fleuve un peu moins élevé mais dans l’ensemble le fleuve garde un débit bien plus élevé que la normale depuis le 10 avril. Une période de crue aussi longue sur l'ensemble du bassin avec plusieurs épisodes de pics très élevés, présente donc un caractère exceptionnel.
Pour bien appréhender ce phénomène dans son ensemble, Météo-France en Guyane et la Cellule de Veille Hydrologique (CVH) de Guyane ont collaboré dans la rédaction de cet article.
Cette collaboration se fait également au quotidien en complémentarité avec pour chaque organisme son domaine d’expertise : Météo-France fournit à la CVH des estimations de cumuls de pluies observés, des analyses de situations météorologiques et des prévisions de cumuls de pluies spatialisées. Ces données sont ensuite traitées par la CVH qui elle, assure le suivi du niveau du fleuve Maroni sur ses différents tronçons et prévoit le risque de crue par le biais de son dispositif d’alerte VigiCrues. Le fleuve Maroni est en vigilance crue au moins de niveau jaune depuis le 10 avril avec quelques périodes de niveau orange. Le niveau de vigilance est finalement repassé au vert le 24 juin 2021.
La Cellule de veille Hydrologique de Guyane surveille le Maroni.
Le Maroni est le plus grand fleuve de Guyane avec 600km de long et un bassin versant de 66 814km² (sur les 134 720km² du bassin Guyanais). Il prend sa source au Suriname puis forme la frontière jusqu’à son embouchure, il en découle qu’une grande partie de son bassin versant se trouve au Suriname et notamment son affluent principal : la Tapanahony, qui à sa confluence représente 38% du bassin versant total.La cellule de Veille hydrologique surveille ce fleuve depuis 1952 à Langa Tabiki et a étoffé son parc de mesure depuis. Aujourd’hui 7 stations de mesures sont actives de Taluen à Saint Laurent (Dégrad des roches sur le Tampok, Taluen en amont de Maripa-Soula, Maripa-Soula, Papaïchton, Grand-Santi, Langa Tabiki proche d'Apatou et Saint-Laurent). Le Maroni est divisé en 4 tronçons : Lawa amont et aval, moyenne et basse vallée. Le fleuve Maroni est en effet traditionnellement appelé le Lawa par les habitants de Maripa-Soula, Papaïchton, et Grand-Santi. Les habitants Aloukou et Djuka qui peuplent les 2 rives du fleuve le désignent souvent plus simplement sous le nom de "a Liba" qui signifie "le fleuve" dans leurs langues.
Lien vers la page d'accueil du site internet de la CVH Guyane: http://www.guyane.developpement-durable.gouv.fr/la-cellule-de-veille-hydrologique-cvh-a1014.html
Lien vers le bulletin d'alerte Vigicrues en Guyane : https://www.vigicrues.gouv.fr/guyane/
Le Maroni par son débit se situe au deuxième rang des fleuves français juste après le Rhin. Son bassin est en revanche un peu plus petit que celui de la Seine mais il draine des quantités de pluies beaucoup plus importantes (il pleut 3 à 4 fois plus dans le sud Guyane que dans le bassin parisien). A l'échelle de la France, le Maroni est donc un grand fleuve mais il ne soutient pas la comparaison avec les géants que sont le Congo en Afrique équatoriale et plus proche de nous l'Amazone. Le débit de l'Amazone représente plus de 100 fois celui du Maroni. Il y a environ le même rapport de puissance entre le Maroni et la crique Gabriel (petite crique de Roura très agréable à remonter en canoë) qu'entre l'Amazone et le Maroni.
Des pluies abondantes depuis le début de l'année.
Un épisode la Niña qui persiste depuis avril 2020. Il existe une forte corrélation entre la pluviométrie en Guyane et les différentes phases du cycle ENSO (El Niño Southern Oscillation) que sont La Niña et El Niño. Les épisodes El Niño sont généralement associés à des pluies déficitaires sur notre région tandis que La Niña correspond souvent à une pluviométrie supérieure à la normale. Depuis le mois d’avril 2020, des conditions la Niña se sont progressivement installées et le phénomène s’est même accentué en fin d’année. Le phénomène La Niña persiste jusqu’en avril 2021 et décroît progressivement pour revenir à des conditions neutres à partir du mois de mai. Le rythme des précipitations en Guyane suit traditionnellement les épisodes La Niña mais avec une certaine inertie et le retour à une phase neutre du cycle ENSO précède de quelques temps la tendance à l’amortissement des précipitations sur la Guyane. Cet épisode La Niña amorcé en avril 2020 et persistant jusqu’en mai 2021 est donc la cause principale de cette pluviométrie anormale constatée depuis plus d'un an. La saison sèche 2020 associée normalement à un étiage marqué du Maroni a été très peu marquée (seul le mois d’octobre a été vraiment sec). Le mois de mars traditionnellement peu arrosé a été bien excédentaire en 2021 sur l’ensemble des postes climatiques du Maroni. Les mois d’avril et mai ont accentué cette tendance avec un excédent pluviométrique qui atteint les 50 % en moyenne en avril puis 25 % en moyenne en mai sur l’ensemble du bassin.
L'ensemble des postes climatologiques du bassin du Maroni a subi une forte pluviométrie en avril et mai. Le poste de Saül apparait dans ce tableau par ce qu'il se trouve à proximité de la tête du bassin de l'Inini (un des affluents de la partie amont du Maroni).
Une saison des pluies plus arrosée que la normale dans laquelle s'intercalent des épisodes pluvieux intenses. Cette succession de mois pluvieux a saturé le bassin et les épisodes pluvieux marqués qui se sont inséré au sein de cette période ont bien logiquement entraîné des pics de crues.
En effet entre avril et mai 2021 et même jusqu’à début juin, l’équateur météorologique d’alizés reste cantonné à la latitude de la Guyane avec une activité modérée à forte. L’activité de l’équateur météorologique d’alizés est renforcée quand la convergence des flux dans les basses couches s’associe à une forte divergence des vents en haute altitude. Ces périodes de forte activité de l’équateur météorologique d’alizés entrainent de forts développements orageux sur le bassin du Maroni. Ces périodes de développements orageux de grande ampleur sont suivies 1 à 3 jours plus tard par des pics de crues qui se déplacent de l’amont vers l’aval.
Des pics de crues à chaque fois plus importants.
Depuis le mois d'avril (quand la saison des pluies s'installe) le fleuve a connu 3 pics de crues, de plus en plus forts. Un premier vers le 12 avril, un deuxième entre le 30 avril et le 2 mai et le dernier entre le 3 et le 6 juin. On peut remarquer le décalage de l'amont vers l'aval des pics de crues qui se produisent d'abord à Maripa-Soula puis à Grand-Santi et enfin plus en aval vers Apatou.
C'est dans le secteur de Grand-Santi que la crue a été la plus importante, les précipitations décadaires relevées à Grand-Santi pendant cette période montrent bien les périodes pluvieuses précédant les pics de crues. Par ailleurs des fortes précipitations à l'échelle d'un bassin (Tapanahony ou rivières côté guyanais qui alimentent le Maroni) n'ont parfois pas été décelées parce que situées à l'écart du réseau de mesures des précipitations. Les importants cumuls de la dernière décade d'avril et la dernière décade de mai précèdent les pics de crues les plus importants. Des pluies abondantes se sont par ailleurs produites sur le bassin du Maroni dans les 2/3 jours qui précèdent les pics de crues.
Comparaison avec les crues du passé
Les populations du Maroni gardent en mémoire la grande crue de 2008 avec plus de 1000 personnes déplacées principalement dans le secteur de Grand-Santi. De nombreux Kampous (petits villages ou hameaux) en amont et en aval de Grand-Santi avaient été submergés. Pour essayer de caractériser cette crue de 2021 par rapports aux événements précédents, il convient de la comparer pour les différents postes hydrométriques du bassin (les pics en se produisent pas au même moment et n'atteignent pas la même ampleur pour les différents secteurs).
A Maripa-Soula, le pic s'est produit le 3 juin et atteint 6m75, on a frôlé le niveau de 2006. Le pic atteint en 2021 correspond à une crue décennale.
A Grand-Santi, le niveau de 2008 a été dépassé le 4 juin; une telle crue présente une occurrence cinquantennale (Chaque année, la probabilité qu'un telle crue se produise est de 1 sur 50, soit 2%100).
A Apatou le pic a atteint 6.65 m le 5 juin, il s'agit d'une crue vincennale (chaque année la probabilité qu'un telle crue se produise est d'1 sur 20 soit 5%100).
La crue de 2021 présente donc surtout un caractère exceptionnel dans le secteur de Grand-Santi. Toutefois, sa durée sur plus de 2 mois rajoute à son caractère exceptionnel.
Perspectives d'évolution de la crue avec les prévisions mensuelles et saisonnières
A la date du 24 juin, le dernier tronçon encore en risque de crue de niveau jaune (Vigicrues) vient de repasser au vert. Le niveau du fleuve reste encore élevé mais le risque de crues s'amenuise. Ce scénario est logique, c'est la situation normale pour une fin de mois de juin. En effet, progressivement chaque année au cours des mois de juin, juillet et août, la ZCIT remonte progressivement vers le nord et son influence décroît. Les averses ou orages persistent sur le Maroni mais se raréfient progressivement. Des renforcements ponctuels de l’activité orageuse se produisent lors du passage d’ondes tropicales au large des côtes guyanaises. L’évolution classique à cette période de l’année est donc à une diminution progressive des pluies pour le bassin du Maroni. L’année 2021 nous a cependant réservé beaucoup de surprises avec des pluies vraiment abondantes pendant la grande saison des pluies. Pour avoir une idée un peu plus précise de la pluviométrie attendue pour cette fin du mois de juin et le mois de juillet, il faut s’intéresser aux prévisions mensuelles. Ces prévisions réalisées par le centre européen de prévisions à moyen terme (ECMWF : European Centre for Medium-Range Weather Forecasts) n’ont pas la même précision que les prévisions à courte échéance, elles s’intéressent aux conditions moyennes et donnent une tendance du temps à venir. Pour la Guyane, elles nous indiquent si les précipitations attendues au cours des prochaines semaines seront inférieures ou supérieures aux normales pour cette période de l’année.
Sur ces cartes issues des prévisions de l'ECMWF, le vert correspond à des précipitations supérieures aux normales et l'orange-marron à des précipitations déficitaires. Le scénario retenu ne présente pas de signal marqué avec tout au plus un léger excédent pluviométrique à partir de la mi-juillet. Cela ne devrait pas empêcher le Maroni de retrouver son niveau normal.
Dans une perspective beaucoup plus lointaine, un premier rapport datant de 2013 prévoyait une occurrence plus fréquente de saisons des pluies très arrosées (un peu comme celle de 2021) à l'horizon 2070. Une étude en cours, le projet Guyaclimat (partenariat Météo-France / BRGM) qui étudie le changement climatique et ses impacts en Guyane permettra d'éclairer le sujet, les premiers résultats sont attendus l'année prochaine.
Cet article se termine par quelques photos réalisées par Arthur Masson (responsable de la CVH Guyane) lors d'un survol du Maroni dans l'hélicoptère de la sécurité civile quelques jours avant le pic de crues du début du mois de juin. Ces survols en hélicoptère permettent de cartographier les zones inondées.