Des températures encore supportables en Guyane?
11/07/2022A l'heure où un épisode de canicule s'amorce en France hexagonale, on peut également s'intéresser aux températures observées en Guyane. Sont-elles encore supportables et vont-elles le rester ? Pour tenter de répondre à ces questions cet article vous propose un petit bilan des températures observées en Guyane et quelques explications sur la température ressentie et la notion de confort physiologique.
Quelques chiffres à propos des températures en Guyane
Les températures observées par le réseau d'observations de surface de Météo-France se mesurent dans des abris ventilés.
Ces abris ont évolué au fil des années mais le principe reste le même : la température est toujours mesurée à l'ombre, dans un secteur dégagé au sein d'un abri ventilé. Les lattes inclinées permettent la circulation de l'air mais évitent que le vent pénètre dans l'abri. Les sondes qui mesurent la température se situent à une hauteur d'1m65. Les mesures sont donc réalisées de façon homogène, cela permet de comparer des températures mesurées dans différents endroits et de voir comment elles évoluent dans le temps.
La station météorologique de Grand-Santi se situe dans un espace dégagé . Au centre gauche de l'image se trouve le mini abri météorologique avec sa forme caractéristique en forme de pile d'assiettes renversées.
En Guyane les températures relevées dépendent de plusieurs paramètres tels que la pluie, le vent, la proximité de l'océan et aussi l'ensoleillement bien sûr. En simplifiant, on peut séparer l'année en 2 périodes distinctes : Une période pluvieuse et nuageuse de décembre à juin appelée saison des pluies puis une période plus sèche et caractérisée par un bon ensoleillement appelée saison sèche de juillet à novembre.
On commence par s'intéresser aux températures minimales que l'on observe généralement au lever du jour.
Que ce soit en saison des pluies ou en saison sèche, les températures minimales sont plus fraiches dans les communes de l'intérieur que sur le littoral. Cela s'explique par la proximité de l'océan dont la température, comprise entre 27 et 30°C, joue un rôle de régulateur en atténuant le refroidissement nocturne sur les communes du littoral. L'écart entre la Guyane de l'intérieur et le littoral se creuse en saison sèche où les nuit souvent étoilées favorisent un refroidissement nocturne plus marqué.
Les températures maximales quant à elles, s'observent généralement en première partie d'après-midi (entre 13h et 16 heures).
Les températures maximales en saison des pluies sont assez homogènes, proches des 30 degrés. Elles sont un peu plus élevées dans la Guyane de l'intérieur car il est bien rare que le soleil n'y fasse pas une petite apparition, si timide soit elle. En saison sèche, le contraste entre le littoral et l'intérieur reste présent. La proximité de l'océan et les alizés limitent la hausse des températures sur la frange littorale tandis que dans la Guyane de l'intérieur, la faiblesse du vent et le bon ensoleillement favorisent des températures maximales qui dépassent les 33 degrés.
Intéressons nous maintenant aux records. Les 2 extrêmes de température observés en Guyane sont 15.5°C (Saül) et 38.5°C (Camopi). Cela donne une amplitude de 23°C entre le minimum et le maximum. On est loin de l'amplitude de la France hexagonale avec un record de froid de -36.7°C à Mouthe (département du Doubs) et un record de chaleur de 46°C a Véragues (département de l'Hérault).
Les records de températures maximales en Guyane sont tous associés au coeur de la saison sèche (période de septembre à novembre). C'est logique, c'est pendant ces 3 mois que l'on observe les journées les plus ensoleillées. On peut également remarquer que la plupart des records de températures maximales ont été atteints dans la dernière décennie (2010/2020). On note aussi l'effet régulateur de l'océan et des alizés sur les communes côtières où les records de températures sont nettement moins élevés que dans les communes de l'intérieur. La température la plus élevée mesurée en Guyane a été atteinte à Camopi le 30 octobre 2018 avec 38.5°C.
Les records de températures minimales sont tous assez anciens et datent tous d'avant 1980. Nous avons là une preuve supplémentaire du changement climatique en Guyane : Les nuits ne sont plus aussi fraiches qu'en "tan lontan".
Saül a le record de la température la plus basse observée en Guyane avec 15,5 °C le 15 octobre 1975. Ce record n'est pas prêt de tomber. En effet, les plus basses températures minimales observées depuis 2010 sont nettement plus modestes avec 16,5°C à Saül le 19/12/2017, 18,0°C à Camopi le 05/12/2011, 18,6°C à Matoury-aéroport le 23/01/2020, 18,7 °C à Saint-Laurent le 22/01/2016, 18,8 °C à Kourou CSG le 16/11/2012, 19,3°C à Saint-Georges le 02/01/2020, 20,3°C aux Îles du Salut le 13/05/2015 et 21,7 °C à Cayenne le 19/01/2017. En fait, à Cayenne, il faut remonter à 2001 pour trouver une température minimale inférieure à 21°C.
Ces chiffres sur de longues durées avec les températures maximales qui maintenant peuvent dépasser les 38°C en saison sèche dans l’intérieur du pays et à l’inverse des minimales qui peinent à descendre sous les 21 °C en bord de mer (à l’exception des Îles du Salut) nous montrent bien la réalité du réchauffement climatique en Guyane.
Des températures supportables?
Il faut bien faire la différence entre la température ressentie et la température mesurée. On a vu que les températures se mesurent dans des abris ventilés à l'abri du soleil et du vent fort. La température ressentie est celle que l'on ressent comme la sensation de chaleur, de froid ou de bien être. La température ressentie a bien évidemment un lien avec la température mesurée sous abri mais nous ne vivons pas dans des abris météorologiques... elle dépend aussi fortement du taux d'humidité de l'air, du vent et de l'ensoleillement.
En Guyane, nous n'avons pas l'occasion de souffrir du froid, même si certaines fins de nuits et débuts de matinées un peu frais nous donnent parfois l'occasion de sortir les pulls des placards ! Quand on s'interroge sur la supportabilité de la température en Guyane, on pense bien sûr à la chaleur mais il faut aussi s'intéresser à l'humidité.
Ce tableau basé sur le calcul de l'indice Humidex (indice de sensation de confort physiologique calculé en fonction de la chaleur et de l'humidité) est donné à titre indicatif. La perception de la chaleur et de l'humidité est propre à chaque individu et ce tableau n'intègre pas le vent. Il nous montre le lien entre le confort physiologique, la température et l'humidité de l'air. On voit que pour une température de 30°C, il faut que l'humidité dépasse 60% pour que la sensation de chaleur devienne insupportable, mais qu'à 35 degrés, un taux d'humidité de 50% est déjà nettement insupportable. En fait plus l'air est humide, plus la chaleur est difficile à supporter. Quand il fait chaud, pour garder le corps à une température de 37°C, l'organisme évacue de la sueur par les pores de la peau. C’est le mécanisme naturel de la transpiration qui régule la température du corps (l’évaporation de la sueur corporelle nécessite de l'énergie - la chaleur corporelle - et donc abaisse la température de l'organisme). Quand le taux d’humidité est élevé, l’évaporation de la sueur se fait plus difficilement, la chaleur ressentie devient plus désagréable (la sensation que vous pouvez avoir quand vous portez un poncho sous le soleil).
Qu'en est-il donc des températures supérieures à 37°C que l’on peut rencontrer dans la Guyane de l’intérieur au plus chaud de la journée en saison sèche ?
Heureusement, ces températures élevées sont associées à des taux d’humidité suffisamment bas pour rendre la chaleur supportable. En effet, le taux d’humidité suit une courbe inverse de celle de la température. Lors d’une journée chaude et ensoleillée, le taux d’humidité se rapproche des 100 % en fin de nuit puis s’abaisse progressivement pour atteindre les 30 % au plus chaud de la journée et remonte ensuite progressivement au fur et à mesure que la température s’abaisse en fin d’après-midi .
Sur le graphe ci-dessus qui reprend l’évolution de la température et de l’humidité au fil des heures lors d’une journée exceptionnellement chaude à Maripa-Soula. On voit bien que quand la température commence à monter, l’humidité diminue fortement. Les heures les plus chaudes de la journée sont associées à une humidité minimale. On n’entre jamais dans la zone de fort inconfort physiologique, on s'en approche toutefois et la chaleur se ressent. Ce jour-là à Maripa-Soula, la température maximale a atteint 37,5°C mais au même moment l’humidité était à son minimal autour de 26 %.
En fait, la sensation de chaleur insupportable se retrouve plus dans les journées où alternent averses et périodes ensoleillées : C'est la cas par exemple, quand le soleil revient brutalement vers 11 heures juste après une forte averse, il y a un moment désagréable où se conjuguent température élevée et forte humidité. Mais l’humidité retombera ensuite rapidement si l'ensoleillement persiste.
Sur la bordure littorale, le ressenti des températures est tout de même un peu plus agréable. Il fait déjà moins chaud sous l’effet des alizés qui se rafraîchissent sur l’océan et le vent généralement bien présent en journée sur la côte augmente l’évaporation de la transpiration, d'où une sensation de "fraicheur". Avec une température moins élevée et en même temps un meilleur ressenti grâce aux bienfaits des alizés, le confort physiologique est déjà meilleur sur les communes du proche littoral.
Les températures observées en Guyane restent donc supportables même si on s'approche parfois des limites du confort physiologique. La limite est temporairement franchie quand l'absence de vent se conjugue à une température élevée et une humidité assez importante.
Les fortes chaleurs observées les après-midi de saison sèche dans les communes de l’intérieur sont heureusement généralement associées à un faible taux d’humidité tandis que sur la bordure littorale, des températures moins élevées associées à l’effet bienfaiteur des alizés favorisent un meilleur ressenti. On peut toutefois nuancer le propos avec en zone urbaine des secteurs plus chauds avec le béton des murs et le goudron au sol qui stockent la chaleur ou peuvent couper le vent, créant ainsi une atmosphère plus difficile à supporter. Ces ilots de chaleur urbain (ICU) peuvent avoir une température supérieure de quelques degrés (entre 2 et 7degrés ) à la campagne environnante. Cet écart de température se retrouve bien sûr en journée sous l'effet du soleil mais aussi la nuit quand le béton et le goudron restituent la chaleur accumulée en journée.
Réchauffement climatique en cours et à venir.
Ce graphique nous montre l’évolution de la température annuelle en Guyane depuis 1955.
Seuls les postes climatologiques historiques ont été sélectionnés (Matoury aéroport, Maripa-Soula, Saint-Laurent, Saint-Georges et Cayenne) pour avoir plus de recul, les autres postes climatologiques n'ont pas la même profondeur dans le temps. La hausse est très nette. La température en Guyane s’est élevée de près d’1,4°C entre 1955 et 2010. L'année 2016 est à ce jour l'année la plus chaude enregistrée en Guyane et de plus, à l'exception des années 2014 et 2018 (un peu plus fraiches), toutes les années à partir de 2010 figurent dans le top10 des années les plus chaudes en Guyane.
Comme partout dans le monde, le changement climatique et ses impacts sont au cœur des préoccupations des gestionnaires, des entreprises et du grand public en Guyane. Quelle sera l’intensité du réchauffement, de l’élévation du niveau de la mer à l’horizon 2100 ? Les épisodes de forte houle et de submersion marine vont-ils s’intensifier ? Doit-on s’attendre à une multiplication des événements de forte pluie, ou au contraire à des périodes prolongées d’étiage, voire de sécheresse ?
Pour tenter de répondre à ces questions, le Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) et Météo-France DIRAG ont monté le projet GuyaClimat, soutenu par la Direction Générale des Territoires et de la Mer (DGTM, ex-DEAL de Guyane), l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie (ADEME). Les conclusions du projet Guya-Climat sont attendues pour octobre mais il est déjà acté que la Guyane comme le reste de la planète va continuer à se réchauffer. A ce niveau là chaque dixième de degrés va compter et on se rapprochera sans doute un peu plus des limites de confort physiologique. Il faudra s'adapter, mais des solutions existent comme augmenter les surfaces ombragées par les arbres en milieu urbain ou tirer plus partie des bienfaits rafraichissants des alizés. Certaines solutions feront appel à l'innovation tandis que d'autres s'inspireront du passé comme les maisons créoles traditionnelles qui ont déjà fait leur preuve en matière de confort thermique.